Discorde.

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Ar'Khe'Na, Krum'Valkar, de nos jours...

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Dans une très grande salle, aux murs interminables de pierre brute et au plafond pratiquement invisible depuis le sol, se dresse un trône gigantesque. Cette place d'honneur n'a pas de décorations ou de gravures particulières. Elle semble avoir été taillée directement dans un bloc d'acier, en n'ayant d'autre but que de supporter le poids de son occupant. Ce trône, cette salle et le reste de la construction transpirent solidité, rigueur et austérité. De la pure poésie martiale. De l'art rakrarior sous sa forme la plus primitive.

Cette imposante forteresse reçut un nom en des temps immémoriaux : Krum'Valkar, refuge des gardiens d'Ar'Khe'Na, siège du pouvoir du Rakirma, cœur de la fierté rakrariore.

Ce joyau de roche accueille depuis toujours le 'Trône d'Acier', terme qui à l'usage finit par désigner le gouvernement rakrarior tout entier.
Le Rakirma passe le plus clair de son temps assis sur ce monument massif, vive image de la force qui est la sienne. Entre les nombreux conseils de guerre avec ses VarTak, les multiples réceptions privées avec les ZarSak et les quelques audiences ouvertes au peuple, les moments de calme sont une denrée plutôt rare. Malgré cela, il s'est toujours débrouillé pour aménager un peu de temps pour ses proches. Ces instants exceptionnels, qui se comptaient sur les doigts d'une main, étaient habituellement un bol d'air frais dans son quotidien surchargé. En tout cas, cela l'était jusqu'à il y a peu.

Ces derniers temps étaient bien plus difficiles et troublés. Rakirma devait jongler avec les nombreuses affaires en cours qui exigeaient des décisions fermes et définitives. Son jugement était soi-disant nécessaire à tous les niveaux, parmi ses pairs des hautes sphères galactiques, parmi les ZarSak au sein de l'Empire Rakrarior et également parmi ses 'fils' du clan Orgoloth. L'impatience gagnait du terrain chez ces derniers, aidée par un murmure qui s'était mué, au fil du temps, en une voix discordante. Ses 'enfants' réclamaient de l'action. Selon eux, la paix n'avait que trop duré et risquait, à force, de les affaiblir. La 'voix de la discorde' en avait profité pour abattre ses cartes et faire valoir ses idées. Le Trône d'Acier était sous pression. En ces temps où la Trame concédait à nouveau ses faveurs aux êtres vivants de la Voie Lactée, Rakirma ne pouvait se permettre un schisme au sein de son clan. Il prit ainsi la décision de réunir son plus fidèle conseiller et le principal responsable de la zizanie.

Autour du Trône d'Acier s'étaient donc réunis trois Rakrariors du clan Orgoloth. Le premier était le guide suprême de l'Empire Rakrarior, un géant sans âge, aux écailles blanchies par le temps, à la diction très posée. Le deuxième était l'une des figures publiques rakrariores les plus connues de la galaxie. Un Rak de petite taille, à la panse généreuse, toujours accompagné de ses deux fidèles cigares. Le troisième, enfin, était complètement inconnu du grand public. Il s'agissait d'un Rakrarior trentenaire de très grande taille, à la musculature développée de façon optimale, comme cherchant à posséder un maximum de force sans rien sacrifier de son agilité. Ses écailles étaient d'un vert si sombre, qu'elles en paraissaient noires. Ses yeux, de la même couleur qu'un jeune soleil, semblaient capables de percer le métal le plus dur. Mais ce qui surprenait, ou plutôt effrayait, le plus de cet impressionnant Rakrarior étaient ses cicatrices, témoignant sans doute du nombre de batailles auxquelles il avait survécu. Il en était recouvert de la tête aux pieds, comme si son corps était passé à plusieurs reprises dans un broyeur. Pourtant, aucune ne paraissait disgracieuse. D'aucuns prétendaient qu'elles formaient de complexes filigranes, résultant sans aucun doute possible d'un rituel tribal de scarification.

Cette réunion familiale n'avait rien de convivial. Cela faisait maintenant deux heures que les discussions avaient débuté et la tension ambiante était palpable :

- Skarr, en agissant de la sorte, tu risques de nous plonger dans un chaos sans précédent !
- ...
- On ne peut pas juste débarquer comme ça, tout atomiser, puis repartir ! Ce n'est pas un exercice, bordel !
- ...
- Alors, tu n'as rien à dire ??
- Que veux-tu que je dise, Grirog ? Tu aimes peut-être bavasser... mais ce n'est pas mon cas. Et vous me faites perdre mon temps.
- Quoi ?!!? ON te fait perdre ton temps ?!? J'espère que tu plaisantes !? Rakirma...
- Skarr, la position que tu occupes aujourd'hui ne te permet plus d'agir égoïstement. Tu dois être plus à l'écoute de tes supérieurs et de tes subordonnés.
- Comme toi, peut-être ? Pffff... quelle perte de temps. Autrefois, tu étais un grand conquérant et qu'es-tu devenu ? Un vulgaire fonctionnaire...
- Comment oses-tu parler ainsi à Rakirma ?!! Si tu n'étais pas qui tu es, je te ferais couper la langue !!
- Venant d'un tas de graisse ne sachant même pas se servir d'une lame, la menace est plutôt cocasse...
- Comment ?!? Je...
- Un peu de calme, s'il vous plaît. Écoute-moi bien, Skarr, tes actions présentes et à venir auront une énorme répercussion sur le clan et peut-être sur l'Empire Rakrarior. Tu ne peux pas décider tout seul d'engager notre armée dans le premier conflit venu.
- Je n'ai rien décidé tout seul. La décision a été discutée et entérinée par le Var'Kirma. Je suis donc venu te notifier leur verdict.
- Oh, mais bien sûr. Tu n'es qu'un simple messager, n'est-ce pas ? Ridicule ! On sait très bien que la majorité des VarTak roulent pour toi ! Ces imbéciles boivent tes paroles et ne se rendent pas compte que tu nous mènes tout droit à notre perte ! Rakirma...
- Arrête de pleurnicher, Grirog. La situation est telle que je l'ai rapportée. Nos guerriers en ont assez de ne connaître la guerre qu'à travers les holotransmetteurs. Ils veulent également y prendre part. Je me contente de donner suite à leurs désirs. Le Var'Kirma a parlé. Il est temps désormais que le ZarSak des Orgoloth et Rakirma de l'Empire Rakrarior se prononce. Quoiqu'il arrive, il aura le dernier mot.
Le silence finit par s'imposer. Ryltar Orgoloth pousse alors un gros soupir, avant d'ajouter :
- Très bien. Je vais y réfléchir un peu avant de donner ma réponse... mais es-tu conscient, VarTak Skarr, des conséquences de ta demande ?
- Bien sûr, Rakirma. Nous avons de puissantes armes, nos guerriers sont surentraînés et motivés, et l'occasion est unique. Pour ma part, il n'y a rien à réfléchir.
- Rakirma...
- Je m'en doutais... bien, laissez-moi, maintenant.
- Rakirma.
- Rakirma.

Grirog et Skarr s'inclinent légèrement, puis laissent le Rakirma méditer sur les actions futures du clan. À peine la porte s'est-elle refermée derrière eux que le diplomate se tourne vers le militaire :

- Le dernier mot ?! Tu crois franchement que je ne vois pas clair dans ton jeu ?! Tu sais aussi bien que moi la décision que va prendre Rakirma !
- Ah bon ? Tu le connais vraiment bien, alors...
- Tu sais très bien que Rakirma chérit le libre-arbitre rakrarior. Il suivra la décision consensuelle du Var'Kirma, même si cela va à l'encontre de son opinion personnelle et de nos intérêts ! Te rends-tu compte de la position dans laquelle tu as placé ton grand-père, Skarr ?
Le VarTak se retourne alors brusquement, agrippe Grirog par les épaules et le plaque violemment contre le mur. Il approche son visage à quelques centimètres du conseiller et lui souffle :
- Tes états d'âme m'importent peu. À mes yeux, tu n'es qu'un parasite qui profite de la candeur de mon grand-père pour le mener à la baguette. Ryltar Orgoloth était un grand VarTak. Il menait personnellement ses troupes au combat et les guidait, non pas depuis son trône d'acier, mais directement depuis le front. Et puis, tu es arrivé et tu lui as conseillé d'embrasser cette fonction de Rakirma qui l'a définitivement cloué au sol.
- Je... non... tu te trompes. On avait besoin de quelqu'un comme lui sur le Trône d'Acier. Un Rakrarior charismatique respecté pour sa force et ses victoires, mais aussi pour sa sagesse et son expérience. Je ne vois donc pas où...
- Silence !! Tu as tué le guerrier qui était en lui ! Tu as tué mon modèle ! Et pour ça, tôt ou tard, je t'arracherai le cœur à mains nues.
Il relâche sa prise et Grirog s'effondre sur le sol.
- Je vais rendre sa fierté au clan quoiqu'il en coûte. Nos ennemis connaîtront bientôt le vrai sens du mot peur, lorsqu'ils entendront le nom 'Orgoloth'. Et tous les Grirog du monde ne pourront l'empêcher.
Skarr reprend son chemin et s'éloigne à grands pas dans le couloir. Grirog, toujours assis par terre, le regarde s'en aller, terrifié à l'idée de ce que l'avenir leur réserverait avec un tel individu.
- Il... il est fou. Il est complètement cinglé...