Station.

1re partie : Mournag.
2e partie : Krondor.
3e partie : Skarr.
4e partie : Projet.

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Ar'Khe'Na, il y a dix ans...

"Enfin une 'lame' à la hauteur de mon ambition..."

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Assis côte à côte sur deux chaises étroites en acier, l'Abh'Kam Mournag et Krondor 'Le Forgeron' patientaient depuis plus d'une heure, sans dire un mot. La pièce qui les accueillait était très exigüe, au point d'interdire la présence simultanée de plus de trois Rakrariors. Celle-ci était éclairée d'une intense lumière blanchâtre, comme si le but recherché fut d'empêcher les éventuels visiteurs de s'assoupir. Cette forte lumière se reflétait sur des murs en acier, amplifiant encore le malaise de l'éclairage. Malgré ces conditions difficiles, l'Abh'Kam demeurait impassible sur sa chaise, les yeux clos, le dos droit, respirant lentement. En somme, tout le contraire de son ami Krondor qui commençait sérieusement à s'impatienter, se tortillant nerveusement et maugréant un charabia incompréhensible entre ses dents :

- Rhaaaa... j'en ai marre !! Il y a tant à faire et nous voilà coincés ici, sans pouvoir bouger !
- On y peut rien, mon ami.
- Ah non ? Rappelle-moi un peu la raison de notre présence, s'il te plaît !?
- C'est pourtant évident. Pour mener à bien la tâche qui t'incombe, tu vas avoir besoin de ressources. De beaucoup de ressources. Et surtout, tu vas avoir besoin du soutien inconditionnel de notre 'colonne vertébrale'.
- Notre colonne vertébrale... l'armée ?
- L'armée.
- Et pourquoi ne s'adresse-t-on pas directement à notre ZarSak ?
- Pour la simple et bonne raison qu'il a d'autres lézards à fouetter. Et j'ajouterais qu'un ami m'a conseillé de venir ici en premier lieu. Selon lui, nous y trouverions une oreille très attentive.
- Ah oui ? Un ami ? De quel ami parles-tu, vieux renard ?
- Aucune importance. Par contre, ce qui est important, c'est que tu gardes ton calme en toute circonstance devant notre hôte.
- Mouais... je le connais de réputation. Pas commode selon les dires.
- C'est tout à fait exact... quoiqu'il arrive, tiens ta langue, Krondor.
- Hein ? Tu me sembles bien nerveux, Mournag. Voilà qui est inhabituel chez toi.
- Eh bien, ce n'est pas la première fois que je le rencontre.
- Ah ? Et quel type de Rak est ce Tak ?
- Le type insondable. Imprévisible. Dangereux, en somme. Tu connais mon 'don', Krondor. Je lis en n'importe qui comme dans un livre ouvert... sauf chez cet individu. Ses yeux semblent abriter une folie meurtrière pouvant éclater à tout moment, à la moindre étincelle, alors que paradoxalement, son corps nous envoie des signes complètement opposés. Je crains cette... dualité. Du fond du coeur, Krondor, ne le mets pas en colère, car on finirait très probablement en charpie.
- Bon, je vais alors m'efforcer de...
À cet instant, la porte s'ouvrit, découvrant un soldat avec un fusil d'assaut plasmique en bandoulière. Les deux amis se turent immédiatement.
- Vous pouvez passer. Tak Skarr vous attend.

Krondor et Mournag suivirent alors le soldat dans un couloir étroit, toujours accompagnés par l'intense lumière blanche. Ils s'arrêtèrent enfin devant une porte métallique. Leur guide, sans dire un mot, l'ouvrit, puis leur fit signe d'entrer.
Ils pénétrèrent ainsi dans une pièce très sombre, qui fit du bien à leurs yeux, mais qui eut pour effet de les aveugler momentanément. C'est à ce moment-là qu'une voix gutturale se fit entendre :

- Que me vaut cette... visite impromptue ?
- Rak à vous, Tak Skarr. Cela fait longtemps, mais...
- Est-ce que l'on se connaît, Abh'Kam... Mournag ?
- Oui. Non. Enfin, nous avons été présentés il y cinq...
- Peut-être... mais que voulez de moi, Rakrariors ? Mon temps est précieux.
- Ahem, bien sûr. Pardonnez-nous, Tak Skarr. Allons donc droit au but. Mon ami et moi avons mis la main sur quelque chose qui pourrait vous intéresser. Il s'agit des plans d'une arme historique de destruction massive.
- Une arme historique ?
- Oui... euh... Krondor, si tu veux bien...

L'armurier n'avait dit mot jusque là, complètement désorienté par les lieux. Tout était encore très sombre et il ne pouvait distinguer que les silhouettes des objets et des individus qui l'entouraient. Pourtant, il pouvait les voir, eux. Deux petits globes jaunes vifs, brillants aussi intensément que la lumière qui les avait accompagnés jusqu'ici. Ces yeux étaient fixés sur lui, le guettant comme un prédateur guetterait sa proie. Il était tout simplement incapable de détourner son regard, comme s'il craignait de perdre de vue un agresseur potentiel. Lorsque son ami l'invita à parler, il se rendit compte que tous ses muscles étaient bandés, par pur instinct, et que sa respiration s'était emballée sans même s'en apercevoir. Il se força alors à se calmer, avant de prendre à son tour la parole :

- Oui, pardonne-moi. Euh... Tak Skarr, nous avo...
- Qui es-tu ?
- Ah oui, excusez-moi, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Krondor... des Forges Krondor... cela doit vous dire quelque chose, non ? On fabrique la plupart des vaiss...
- ...
- Oui, euh... mon ami ici présent à mis la main sur les plans d'une arme légendaire, Tak Skarr. Une arme d'une puissance incomparable. Une arme issue de notre histoire, héritage ultime du savoir-faire rakrarior que l'on croyait perdu depuis un millier d'années !
- ...
- Tak, je vous parle de la mythique Station spatiale de combat rakrariore !
- ...
- ...
- Quand sera-t-elle prête ?
- Hein ? Euh... comment dire, pas de sitôt, Tak Skarr. J'ai passé plusieurs heures à étudier les plans et à calculer les ressources nécessaires. La bonne nouvelle, c'est que nous devrions pouvoir la construire. La mauvaise, c'est qu'il va falloir s'y atteler pendant une décennie entière.
- Je la veux prête pour la fin de l'année.
- Quoi ?!!?
- Krondor...
- ... ah euh... pardonnez-moi, je ne voulais pas élever la voix, Tak Skarr. C'est juste que votre demande n'est pas raisonnable. Nous allons ressusciter une arme puissante et bien plus complexe qu'il n'y paraît. Il va probablement falloir bâtir de nouvelles structures dans les chantiers navals, reconstruire de vieux outils nécessaires à sa conception et aussi former une main-d'œuvre spécialisée. D'ailleurs, vu la taille finale de la station, nous allons être obligés de la construire directement dans l'espace. Logistiquement parlant, ce projet va être un cauchemar ! Je suis navré, Tak Skarr. Au risque de me faire trancher la gorge, je dois insister sur les délais... dix ans grand maximum pour le premier exemplaire. Pour la suite, les temps de construction seront plus raisonnables.
- ...
- ...
- ...
- Vous aurez tout ce dont vous avez besoin. Maintenant, sortez.
- Merci, Tak Skarr.
- Mes respects, Tak Skarr.

Les deux Raks se dépêchèrent de sortir. Ils furent reconduits jusqu'à l'entrée de la caserne, escortés par deux soldats.

- Pfiouuuu... je crois que je vais faire une donation aux Kil'Den pour m'avoir permis de vivre un jour de plus. Tu avais raison sur toute la ligne, Mournag, ce type est complètement cinglé.
- Je n'ai pas dit ça. Je t'ai juste fait part de mes impressions. De toute façon, j'ai tellement de mal à le cerner que peut-être suis-je en train de me tromper sur sa personne. Peut-être ne s'agit-il là que d'un énième officier arrogant et pompeux voulant imposer ses galons.
- Oh non, ça m'étonnerait. Ce type dégage définitivement une aura très malsaine.
- Peut-être... malgré cela, il a acquis en très peu de temps une sacrée réputation au sein de l'armée. Mon contact me l'a présenté comme un génie militaire. Après tout, il est Tak, alors qu'il n'a que vingt ans.
- Vingt ans ?!!? Impossible...
- Et pourtant, sa filiation n'y est pour rien, crois-moi.
- Sa filiation ?
- Oui... Skarr Orgoloth, petit-fils de Ryltar...