Mournag.

Ar'Khe'Na, il y a dix ans...

"Mmmh... cette nuit, il fera un temps à ne pas mettre une écaille dehors."

Mournag, Abh'Kam du Temple de Memnor, avait été choisi. Non pas par son peuple ou même son clan, mais par les divinités Kil'Den elles-mêmes. Oui, par les dieux. Peu d'étrangers savaient à quel point les croyances mythologiques rakrariores influençaient les choix et les actions du peuple écailleux. Peu de Rakrariors, il faut avouer, s'épanchaient sur leurs convictions ou sur leurs sentiments.
Et pourtant, ils avaient eux aussi la foi. La foi en des forces supérieures guidant leurs bras, leurs armes ou leurs vaisseaux. À travers les marécages, les déserts de feu ou de glace, à travers l'espace et ses étoiles. Leurs dieux représentaient la guerre, la victoire, l'honneur, la fierté, mais aussi la terre, l'eau, le feu et l'air. Également la mort, mais aussi la vie. Ces divinités étaient multiples et bigarrées. Un Rakrarior avait coutume de toujours porter sur lui un élément de son monde natal. Cela pouvait être une simple pierre ou un bout d'écorce en pendentif. D'autres choisissaient de remplir leurs poches de sable. C'était la manière rakrariore de rester "connecté" à sa terre nourricière, à son clan et à ses dieux : les Kil'Den.

Depuis toujours, Mournag s'était senti proche de la nature. La nature au sens large du terme, qui englobe alors le monde animal, végétal, rakrarior et divin. Cette nature lui avait susurré durant une grande partie de sa vie le chemin qu'il devrait emprunter et les obstacles qu'il devrait surmonter. Ce susurrement s'était progressivement changé en murmure. Puis le murmure fit place à une perception plus physique. Il put ainsi sentir les forces et les volontés supérieurs à l'œuvre et développer une sorte de pouvoir de précognition. C'était une capacité plutôt rare, présente généralement chez des êtres appelés à devenir ZarSak (chefs de clan) ou même Kor'VarTak (généraux et seigneurs de la guerre). Mais Mournag, qui pouvait parfaitement apprécier la moiteur de la bataille et le doux son des batteries de canons plasmiques en action, fit un autre usage de ce pouvoir. Il le mit au service du peuple. Alors que certains auraient choisi de deviner les mouvements ennemis lors des nombreuses batailles rakrariores, lui opta pour prédire le déplacement des nuages, les changements de pression atmosphérique et la direction des vents. Son aide permit d'éviter de nombreuses catastrophes naturelles et d'optimiser la production de nourriture. Son peuple fit régulièrement appel à lui, non seulement pour des questions climatologiques, mais également pour des conseils plus terre-à-terre. Après tout, quelqu'un capable d'anticiper une chute de grêle devait aussi connaître à l'avance le prochain vainqueur du cyberball... À sa manière, il acquit le statut de guide spirituel. Lorsque les gens commencèrent à l'appeler "Mournag le Prophète", le Temple de Memnor l'invita à le rejoindre. Et c'était le genre d'invitation que personne ne pouvait refuser.

Le Temple de Memnor, le plus grand sanctuaire d'Ar'Khe'Na, dédié à l'une des divinités majeures du panthéon Kil'Den : Memnor de l'Honneur. "Le Prophète" y entra comme disciple, y fit ses classes, et franchit pas à pas les différents échelons hiérarchiques. Au bout de quarante ans d'études et de prières, il fut élu Abh'Kam, ce qui signifie dans l'idiome ancien rakrarior : Voix des Dieux. En devenant ainsi le gardien du Temple, il avait atteint le sommet du pouvoir spirituel rakrarior, ce qui lui ouvrait par la même occasion une porte très convoitée. En effet, l'un des privilèges de l'Abh'Kam était l'accès totale à l'Arkium Kognos, les archives de la connaissance. Car le Temple était avant tout un écrin. L'écrin de toute l'Histoire rakrariore, patiemment recueillie et gravée sur des tablettes d'un minéral local, connu pour sa solidité et sa résistance au temps. Il se raconte que les Dieux eux-mêmes participent à ce travail titanesque et que l'Arkium Kognos, qui ressemble à un large puit, s'enfonce sans fin dans la terre d'Ar'Khe'Na.
Cette source quasi infinie de savoir tendait les bras à Mournag. Bien sûr, l'Abh'Kam ne se fit pas prier. Il lui arrivait de disparaître des semaines entières dans l'Arkium Kognos et ne réapparaître au dernier moment que pour assurer le minimum de ses obligations spirituelles. Ce fut pendant une de ces expéditions qu'il mit la main sur un trésor perdu dans les mers du Temps. Il sentit qu'il tenait quelque chose d'important, mais il fut incapable de définir cette trouvaille. Contrairement à ses habitudes, il prit la tablette dans ses appartements pour l'étudier plus en profondeur, mais une fois encore, les pictogrammes gravés sur la pierre refusèrent de lui dévoiler leur signification. Il eut alors une intuition. Ou plutôt, une de ses intuitions. Les dieux lui avaient parlé ? Il l'ignorait, mais il savait qu'il devait rapidement contacter quelqu'un. Un nom lui vint à l'esprit.

- Frère Kord ?
Un Rakrarior affublé d'une toge se présenta immédiatement devant la porte des appartements.
- Oui, Abh'Kam ?
- Je veux que tu portes ce message à Krondor.
Il lui tendit un disque minuscule.
- Krondor ? Krondor "Le Forgeron" ?
- Oui et immédiatement, cher frère.
- Pourquoi ne pas utiliser l'holotransmetteur ? Ce serait bien plus rapide, mon Maître.
- Je le sais bien, frère Kord. Disons que certaines choses doivent être faites d'une certaine manière et dans un certain ordre pour que d'autres choses se produisent de manière correcte et dans un ordre adéquat.
- *air gêné* Vous recommencez, Maître.
- Quoi donc ?
- À parler par énigmes.
Mournag le fixa un instant, puis éclata de rire.
- Hahaha... va, mon frère. Et dis-lui que c'est urgent.
- Comme toujours. J'y vais de ce pas, Abh'Kam.

"Krondor... serait-ce lui la clé ?"