La Bataille de l'Aube

Doulothaxhan, domaine du Zarsak Zyon.

Un campement, la nuit. Un grand feu brûle au milieu des guerriers des marais réunis pour la veillée. On a disposé les armes en faisceaux, mangé des salaisons, et le waki circule abondamment entre les pattes écailleuses. Désormais, tous écoutent Qu’un-Œil, le rhapsode, qui a saisi son jîikhak* et commence à chanter.
— Rak ! Poète ! » Crie-t-on dans l’assemblée des esprits embrumés par l’alcool, « conte-nous la bataille contre Zor que livrèrent nos frères, tout là-haut dans les espaces ! »
A ces mots, s’élèvent des concerts de hurlements qui ébranlent les astres eux-mêmes. « RAK ! RAK ! RAK ! RAK ! » En choquant leurs timbales, les Rakrariors appellent la musique du poète.
Qu’un-Œil sourit doucement et presse le sac de son jîikhak. Une mélodie en sort, elle pose des accents épiques dans le soir qui se met à rayonner dans l’âme réveillée des soldats.
« La Bataille de l’Aube, » annonce le rhapsode. Et sa voix résonne dans le silence noir des marais.


« Sur quelque cadran fort lointain,
Perdu dans la toile infinie,
Aux pâles lueurs du matin,
Errait la « Divine » ennemie.
Tout comme des corps de dragons,
Flottaient les grands Armaguedons,
Pleins de canons et de tourelles
Qu’ils avaient en-dessous des ailes.
Et ils étaient accompagnés
De vaisseaux lourds et plus légers
Dont on put compter par centaines
Le sombre nombre des carènes…

C’était la griffe du destin,
La terrible corne en saillie
Poussée au front de Zor, rapin
Qui écumait la Galaxie. »

Qu’un-Œil regonfle son jîikhak et joue plus fort un air plus noble et impérieux.

« L’ordre donné soudain, des lumineux ventaux,
Vit bondir au cadran des milliers de vaisseaux
Battant pavillon vert sur leurs faces rougies,
Les lettres E et R brocardaient leurs ouïes.
En avant : les chasseurs, sous l’Œil de Rakirma,
Et derrière eux, fleuron de la flotte « Divine » :
T-Raks majestueux sur leur ligne si fine,
Les fiers Titans glissaient à travers leur aura.
Puis, sortant des portails, leurs alliés en nombre
Surgirent tout autour des vaisseaux écailleux,
Obscurcissant le ciel sous le poids de leur ombre,
Tout bardés de lasers et couronnés de feux.
« Frères ! Le monde tremblera ! »
Criaient en chœur leurs équipages,
« Ô Kil-Den des lunes sauvages !
Sous la Fierté de Rakirma ! » »

Les compagnons du rhapsode lèvent leur waki en hurlant à la nuit ces mêmes mots qui montent dans la chaleur du brasier : « Frères ! Le monde tremblera ! Sous la Fierté de Rakirma ! »

Et le poète de continuer.

« Dans l’ombre morte de l’espace,
Turakama lance la chasse !
Et sous le pont du grand Zarsak,
Cent-mille soldats hurlent « Rak ! »
Rak ! Tous mes frères ! Dans la lutte,
Restez debout en Rakrarior !
Entraînons Zor dans notre chute,
Enfin, si nous chutons encor… !

Puis, de tous les chemins qui sont tracés dan le vide,
A toute force de moteurs,
L’immense flotte atteint les premiers éclaireurs
En un unique élan rapide.

Douleur de guerre ! Pauvre humain !
Sous l’égide du monde libre,
On a écrasé ce matin
Ta queue ! Ô noir serpent qui vibre
Et tremble de peur ! Petit Zor !
Tu fuis devant un Rakrarior ! »

Jubilation générale de la part des guerriers qui, fous d’enthousiasme, se frappent la poitrine de leurs poings nus.







* Jîikhak : sorte de chalumeau à sac et à pistons, instrument très en vogue au sein du clan Mhialuoghan.